Théorème de Banach-Steinhaus
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Le théorème de Banach-Steinhaus fait partie, au même titre que le théorème de Hahn-Banach et le théorème de Banach-Schauder, des résultats fondamentaux de l'analyse fonctionnelle. Publié initialement par Stefan Banach et Hugo Steinhaus en 1927, il a aussi été prouvé indépendamment par Hans Hahn, et a connu depuis de nombreuses généralisations.
La formulation originelle de ce théorème est la suivante[1] :
Théorème — Soient E et F deux espaces vectoriels normés. Pour qu'une famille d'applications linéaires continues de E dans F soit uniformément bornée sur la boule unité de E, il suffit qu'elle soit simplement bornée sur une partie non maigre de E.
Lorsque E est un espace de Banach (donc de Baire), il suffit donc que la famille soit simplement bornée sur une partie comaigre, comme E lui-même[2].
Considérons, pour chaque entier naturel n, l'ensemble des vecteurs x de E tels que pour tout indice i, |fi(x)| ≤ n :
C'est une intersection de fermés, donc un fermé. L'ensemble sur lequel la famille est simplement bornée est la réunion de ces An. Si cette réunion est non maigre alors l'un des An n'est pas d'intérieur vide : il existe un entier naturel n0 tel que contienne une boule fermée de rayon r > 0. Notons a son centre.
Pour tout vecteur unitaire x de E,
Par conséquent, est uniformément bornée sur la boule unité :
où est la norme d'opérateur de .
Soit E l'espace des fonctions continues sur [0, 1] à valeurs réelles, muni de la norme , de sorte que E est bien un espace de Banach, et F = ℝ. Pour chaque entier naturel n, soit un l'opérateur défini par :
Pour toute fonction f, n'est autre que l'erreur commise dans le calcul de l'intégrale de f lorsque l'on prend une somme de Riemann correspondant à une subdivision régulière de [0, 1] en n intervalles égaux. Cette erreur est un pour les fonctions de classe C1 ou lipschitziennes, mais il n'en est pas de même pour les fonctions continues en général. En effet, on montre que , de sorte que et donc que le complémentaire de A est dense. Une fonction f appartenant à ce complémentaire vérifie donc , ce qui signifie que l'ensemble n'est pas borné et donc que l'erreur commise n'est pas un .
Le théorème de Banach-Steinhaus donne une preuve de l'existence d'objets vérifiant telle ou telle propriété, mais cette preuve n'est pas constructive.
Si f est une fonction (disons continue) de période 2π, on note la n-ième somme partielle de sa série de Fourier.
Fixons x. Pour chaque entier n, on note (n-ième constante de Lebesgue) la norme de l'application , vue comme forme linéaire sur l'espace des fonctions continues de période 2π muni de la norme sup.
On a [3].
D'après le théorème de Banach-Steinhaus, il existe donc une fonction f telle que La série de Fourier d'une telle fonction diverge en x.
Si l'on utilise la version forte du théorème de Banach-Steinhaus, on voit même que dans l'espace des fonctions continues 2π-périodiques muni de la topologie de la convergence uniforme, l'ensemble des fonctions dont la série de Fourier diverge en x est comaigre donc dense.
Cet argument est d'autant plus remarquable qu'il n'est pas très facile de trouver des exemples explicites.
Si E, F et G sont trois espaces vectoriels normés et si E ou F est complet, pour qu'une application bilinéaire de E×F dans G soit continue, il suffit qu'elle le soit séparément par rapport à chaque variable[4].
Sous sa forme la plus générale (d'où les hypothèses inutiles de convexité locale ont été éliminées), le théorème de Banach-Steinhaus s'énonce comme suit[5] :
Théorème — Soit K le corps des réels ou des complexes et un espace vectoriel topologique sur K. Les conditions suivantes sont équivalentes :
La démonstration ci-dessus est fondée, en dernière analyse, sur le théorème de Hahn-Banach et non sur la propriété de Baire. Il existe des espaces tonnelés importants (notamment des limites inductives strictes d'espaces de Fréchet) qui ne sont pas des espaces de Baire, et on peut tout de même utiliser le théorème de Banach-Steinhaus sur ces espaces.
Pour tirer les conséquences pratiques du théorème ci-dessus, le lemme suivant est nécessaire :
Lemme — Soit E et F deux espaces localement convexes, F étant séparé, et H une partie équicontinue de .
Corollaire(Théorème de Banach-Steinhaus) — Soit un espace localement convexe tonnelé sur K ou le dual d'un espace de Fréchet, et un espace localement convexe séparé sur K.
(a) Soit une suite d'éléments de , convergeant simplement vers une application de dans . Alors on a , et converge uniformément vers sur toute partie précompacte de .
(b) Sous les hypothèses considérées, soit plus généralement un espace métrisable, une partie de , une application de dans et un point adhérent à dans . Si pour tout , existe, alors .
(c) Si E est tonnelé, soit un filtre sur , contenant une partie simplement bornée ou à base dénombrable, et convergeant simplement vers une application u de E dans F. Alors et converge uniformément vers u dans toute partie précompacte de E.
(a) La suite est simplement bornée, donc l'ensemble H de ses points est équicontinu d'après (d'après le théorème ci-dessus quand E est tonnelé et d'après un autre résultat connu quand E est le dual d'un espace de Fréchet[6]). Par conséquent, d'après le lemme ci-dessus, converge uniformément vers u sur tout ensemble précompact de E et .
(b) Le point est limite d'une suite () de points de , donc pour tout .
(c) Dans le cas où contient une partie simplement bornée H, cette partie est équicontinue d'après le théorème, et le résultat énoncé est de nouveau une conséquence du lemme ci-dessus. Dans le cas où a une base dénombrable, c'est une conséquence de (a).
Le principe de condensation des singularités s'énonce comme suit[7],[8] :
Théorème — Soit et deux espaces vectoriels topologiques tels que est un espace de Baire. Si une partie de n'est pas équicontinue, l'ensemble des tels que n'est pas bornée dans est comaigre. En conséquence, si est une suite de parties de dont aucune n'est simplement bornée, l'ensemble des tels que est non borné dans pour tout entier n est non maigre.
Un espace de Montel est tonnelé, et dans un tel espace, les parties fermées bornées et les parties compactes coïncident. Le théorème de Banach-Steinhaus, sous sa forme générale, a donc la conséquence suivante :
Théorème — Soit le dual d'un espace de Montel E.
(a) Dans , toute suite faiblement convergente est fortement convergente.
(b) Plus généralement, soit un espace métrisable, une partie de , une application de dans et un point adhérent à dans . Si pour tout , existe, alors et dans fort.
En particulier, soit (resp. ) l'espace des distributions à support compact (resp. l'espace des distributions) sur une variété différentiable paracompacte de dimension finie (par exemple un ouvert de ) ; puisque l'espace (resp. ) des fonctions indéfiniment différentiables (resp. des fonctions indéfiniment différentiables à support compact) sur est un espace de Montel (mais non de Baire !), les suites faiblement convergentes et les suites fortement convergentes dans (resp. ) coïncident, ce qui simplifie beaucoup l'étude de la convergence des suites de distributions (la topologie forte des distributions étant une limite projective d'espaces (DF) compliquée). En effet, pour vérifier qu'une suite de distributions (dans ou dans ) tend vers une limite T, il suffit de vérifier que pour toute fonction test , la suite de nombres complexes tend vers . Il n'est pas nécessaire, alors, de préciser au sens de quelle topologie tend vers T.
La même conclusion vaut pour l'espace des distributions tempérées sur . En effet, l'espace de Schwartz des fonctions déclinantes est un espace de Montel.
Soit , où i est un entier , une fonction positive définie sur la droite réelle, dont le support est inclus dans l'intervalle et dont l'intégrale entre –∞ et +∞ est égale à 1. Ce peut être par exemple la fonction définie par pour et ailleurs ; mais peut être également une fonction continue, ou même indéfiniment dérivable. Soit . On a
où , d'après la première formule de la moyenne. Par conséquent, où est la distribution de Dirac. En conséquence, dans (cette convergence a également lieu dans et dans ). C'est la raison pour laquelle on dit parfois, par abus de langage, que « la fonction de Dirac est la fonction qui vaut 0 en dehors de l'origine, qui vaut +∞ en ce point, et dont l'intégrale sur la droite réelle vaut 1 ».
Considérons un filtre passe-bas de fonction de transfert , où p désigne la variable de Laplace. Lorsque la constante de temps tend vers , tend vers 1. On peut donc penser que pour , le filtre considéré a un effet régularisant, et que lorsque diminue cet effet régularisant devient de moins en moins marqué jusqu'à disparaître par passage à la limite. C'est ce que montre le théorème de Banach-Steinhaus, en utilisant le fait que le produit de convolution est continu de dans (où est le sous-espace de dont les éléments sont les distributions à support positif)[9]. En effet, la réponse impulsionnelle du filtre (à savoir la transformée de Laplace inverse de ) est , où est la fonction de Heaviside. Soit . On a
Puisque est continue et à support compact, elle est bornée, et le théorème de convergence dominée montre que
d'où on déduit que dans quand . Supposons que l'entrée du filtre soit une fonction u localement intégrable, discontinue et à support positif. Alors la sortie du filtre est la convolée . Cette fonction est continue[10] et, d'après ce qui précède, converge vers u dans quand .
Soit
où est la distribution de Dirac au point j, et . On a
Or , par conséquent (d'après le résultat classique sur les séries de Riemann), existe pour toute fonction test . Il s'ensuit que la suite double converge dans l'espace des distributions tempérées (muni de sa topologie forte). La limite est le peigne de Dirac (qui est donc une distribution tempérée)
Soit
et soit où désigne l'espace des germes de fonctions analytiques dans un voisinage de 0 dans ; il s'agit d'un espace (DFS), qui est donc un espace de Montel, et son dual est l'espace des hyperfonctions ayant pour support . On a
Le développement de Taylor de au voisinage de 0 s'écrit
et par conséquent cette série entière doit être convergente avec un rayon r suffisamment petit. La suite de nombres complexes est alors convergente si, et seulement si pour n suffisamment grand, . Cette condition est satisfaite pour r aussi petit que l'on veut si, et seulement si
qui est donc, d'après le théorème de Banach-Steinhaus, la condition nécessaire et suffisante pour que la suite converge dans . On peut donc écrire