La fermentation est un processus métabolique convertissant généralement des glucides en acides, en gaz ou en alcools pour en extraire une partie de l'énergie chimique tout en ré-oxydant les coenzymes réduites par ces réactions. Il s'agit d'une voie métaboliqued'oxydoréduction dans laquelle l'accepteur ultime d'électrons est souvent confondu avec le produit final des réactions. Elle se caractérise par une dégradation partielle de la substance fermentescible et ne permet qu'une production d'énergie limitée. Elle a lieu chez des levures et des bactéries, ainsi que dans les cellules musculaires manquant d'oxygène, c'est-à-dire en conditions anaérobies. Sa caractérisation au XIXe siècle contribua à la découverte des enzymes. Louis Pasteur estimait ainsi que des ferments étaient responsables de la fermentation alcoolique chez la levure.
La première étape commune à tous les modes de fermentation est la glycolyse, convertissant (oxydant) une molécule de glucose en deux molécules de pyruvate avec phosphorylation de deux molécules d'ADP en ATP (Pi désigne ici le phosphate inorganique) et réduction de deux molécules de NAD+ (l'oxydant) en NADH :
L'ATP est utilisé par les processus cellulaires qui requièrent de l'énergie, tels que les biosynthèses, le transport actif à travers les membranes, ou encore la motilité des cellules. En revanche, le NADH doit être ré-oxydé en NAD+ pour permettre au métabolisme cellulaire de se poursuivre. La fermentation a pour fonction première d'assurer cette ré-oxydation, en transférant les électrons du NADH vers un accepteur d'électrons qui est ensuite éliminé de la cellule. Au cours de la fermentation lactique, par exemple, l'accepteur d'électrons est le pyruvate lui-même, qui est alors réduit en lactate : c'est ce qui se produit dans les muscles lors d'un effort physique intense, qui dépasse les capacités d'oxygénation cellulaires et fait fonctionner la glycolyse du cytosol bien plus rapidement que la chaîne respiratoire des mitochondries.
À titre de comparaison, en présence d'oxygène (O2), la respiration produit jusqu'à 36-38 moles d'ATP à partir d'une mole de glucose, soit environ 18-19 fois plus que la fermentation. Elle mobilise un appareil enzymatique plus complexe (voir le cycle de Krebs et la chaîne respiratoire). En termes évolutifs, la fermentation est privilégiée tant qu'il existe de grandes quantités de sucre et peu d'oxygène, ce qui correspond aux conditions de vie avant l'apparition de l'oxygène dans l'atmosphère. Dès que le sucre se raréfie et/ou que l'oxygène devient abondant, comme cela a débuté il y a environ deux milliards d'années et s'est achevé il y environ 250 millions d'années, intervient la respiration cellulaire ainsi que les organismes capables de la mettre en œuvre. Notons que les mitochondries, lieu de la respiration cellulaire, sont des organites qui descendent des α-protéobactéries.
Il existe d'autres types de fermentation (fermentation butyrique, acétique, sulfurique…).
La fermentation acide mixte est un autre type de fermentation qui concerne essentiellement les entérobactéries, c'est-à-dire les bactéries du tube digestif.
La fermentation alcoolique ou fermentation éthylique est réalisée par de nombreux organismes vivants (bactéries, levures) de manière permanente ou occasionnelle dans des milieux dépourvus d'oxygène. La propriété de certaines levures à transformer le sucre en éthanol est utilisée par l'homme dans la production de boissons alcooliques (et non boissons alcoolisées, comme on peut le lire improprement dans la presse ou l'entendre, car l'alcoolisation se fait de manière spontanée et non par adjonction d'éthanol/alcool), et pour la fabrication du pain. La température idéale de fermentation est de 35 °C à 40 °C.
Les boissons alcooliques sont obtenues par fermentation naturelles des solutions sucrées (moûts). Il s’agit d’une réaction chimique naturelle (biochimique) obtenue grâce aux micro-organismes (bactéries, moisissures, champignons) et aux levures qui grâce à leur enzyme, la zymase, décomposent les jus de fruits naturels en éthanol et en bulles de dioxyde de carbone.
Les levures sont présentes naturellement à la surface des fruits ou ajoutées aux moûts (jus de fruit) que l’on fait fermenter. Concrètement, pour provoquer le processus de fermentation, il suffit de laisser le fruit au contact de l'air en prenant soin de broyer les membranes de protection biologiques (peau…), ce qui se fait en écrasant ou en broyant le fruit. Les levures en suspension dans l'air sont amplement suffisantes pour produire la fermentation de la bouillie en quelques jours.
On peut aussi ajouter des levures afin d'accélérer ce processus naturel, comme la levure de bière (ou celle du pain) aussi, en maintenant la température aux alentours de 37 °C, la fermentation se produit en une heure environ.
Ce phénomène est scientifiquement connu depuis les travaux des chimistes Jean-Antoine Chaptal (à la suite des travaux de François Rozier et d'Antoine Lavoisier), de Gay-Lussac (1817), de Pasteur (1866) et de Buchner (1897) qui mettra en évidence le caractère enzymatique de la transformation du sucre en éthanol. Sa connaissance relève de la chimie, de l'enzymologie et de la microbiologie.
La fermentation lactique est très utilisée en fromagerie. Les yaourts sont obtenus à partir de lait bouilli puis refroidi et ensemencé avec une souche définie de bactérie, par exemple L. Bulgaricus (Lactobacillus delbrueckii subsp. bulgaricus), et incubée selon le procédé de fermentation et le produit à fermenter.
La fabrication de la choucroute est réalisée par fermentation lactique en présence de 2 à 3 % de chlorure de sodium. Le processus est arrêté lorsque la teneur en acide lactique atteint environ 1,5 %.
La fermentation lactique est favorisée lors de l’ensilage des produits agricoles, car l’acidité produite empêche le développement d’autres micro-organismes pouvant provoquer la putréfaction des produits ensilés.
La présence de ferments lactiques dans la flore intestinale est très favorable à un bon fonctionnement de l’intestin. Elle a notamment un effet protecteur[2].
Enfin, au cours des processus anaérobies présidant à la contraction musculaire, le glycogène qui est un polymère glycosylé libère du glucose grâce à une enzyme, la glycogène phosphorylase, le glucose rejoint ensuite la glycolyse et forme deux équivalents de pyruvate. Ceux-ci sont alors transformés en acide lactique par une lactate déshydrogénase, lequel est ultérieurement oxydé au cours des processus aérobiques. La fermentation lactique est une réaction chimique pouvant se dérouler en cas de privation d'oxygène dans les cellules musculaires. Les muscles ayant besoin d'une grande quantité d'énergie en cas d'activité physique, consomment une grande quantité de sucre et surtout, d'oxygène. Le glucose et l'oxygène nécessaires à la réaction de respiration cellulaire sont stockés dans la cellule et renouvelés par la circulation sanguine. La quantité d'oxygène apportée peut ne pas être suffisante, soit en cas d'effort bref et intense (compte tenu du délai entre le débit de repos et le débit en plein effort), ou bien encore alors que le débit maximum d'oxygène est déjà atteint (pendant le sprint final), alors que du sucre reste disponible ; les cellules musculaires réalisent alors la fermentation lactique pour produire de l'énergie.
L'augmentation de la concentration en ionslactates dans les cellules musculaires est une des raisons de la fatigue après une activité intense. En effet, ces ions lactates changent le pH intracellulaire et modifient de fait les conditions de fonctionnement enzymatiques de la cellule qui ne peut plus travailler correctement.
Néanmoins, des recherches récentes suggèrent que l'augmentation d'ions K+ pourraient être à blâmer, alors que l'excès de lactate (forme ionisée de l'acide lactique) entraînerait une augmentation des performances musculaires[3]. Le lactate excédentaire étant « recyclé » en pyruvate par les cellules hépatiques
Pour le vin, ce sont les levures qui se trouvent naturellement sur la pruine qui, après pressurage (vin blancs et rosés) ou pendant la cuvaison (vins rouges) vont transformer le sucre présent dans les baies de raisin en alcool.
assurer la fermentation complète et rapide des sucres ;
éviter la production d'acidité volatile pendant la fermentation ;
éviter la production de composés soufrés à odeurs désagréables pendant la fermentation ;
aboutir à l'objectif aromatique et gustatif.
Ces étapes peuvent être favorisées par l’addition d'une levure sélectionnée pour ses caractéristiques fermentaires.
La conduite de la fermentation alcoolique d'un moût de raisin nécessite de maîtriser les facteurs influant directement sur la vie et la survie d'une population de levures.
La fermentation est une des étapes de la fabrication de la bière. Cette étape consiste à ensemencer le moût avec une certaine quantité de levures afin que ces levures transforment les sucres présents en alcool et en CO2. Il existe quatre types de fermentation : basse, haute, spontanée et mixte.
Le faisandage des venaisons est dû à la fermentation bactérienne de leur contenu intestinal, les protéases des bactéries désorganisant les muscles et les tendons robustes (processus de protéolyse) développés par la vie sauvage du gibier[5].
Parmi les plus emblématiques des produits laitiers subissant une fermentation se retrouvent les fromages et les yaourts, ainsi que tous les laits fermentés. Du fait de la présence d'une flore vivante, cette dernière a un effet protecteur et donc conservateur ; rendant désirable une telle fermentation dirigée, surtout dans les pays où la chaîne du froid ne peut être maintenue ou mise en place de manière systématique.
Dans le domaine du traitement des déchets organiques et de la production d'énergie renouvelable, la méthanisation permet de transformer la matière organique (pollution organique, fumier, déchets ménagers fermentescibles) en biogaz. Elle consiste principalement en quatre phases :
hydrolyse des polymères de sucres, protéines ou lipides en monomères ;
acidogenèse qui permet la transformation de ces monomères en acides gras volatils ;
La fermentation précède la maîtrise par l'homme de ce procédé ; en effet, c'est un phénomène naturel qui se produit lors de la décomposition de la matière organique : les fruits fermentent sans aucune intervention humaine, la fermentation spontanée d'un mélange d'eau et de farines donne du pain au levain naturel, des laits fermentés sont obtenus par la fermentation spontanée des micro-organismes naturellement présents dans le lait, les outres ou l'environnement. L'utilisation de la fermentation par les humains est un processus très ancien qui s’est développé, de manière indépendante et simultanée dans plusieurs régions du monde. Elle remonterait au Paléolithique pour la conservation des aliments, et au Néolithique pour la production de certaines boissons[6] (bière, vin)[7]. Elle contribue à la détoxication de plantes sauvages ou domestiquées (par exemple, fermentation du manioc par rouissage, fermentation lactique des choux sauvages pour faire de la choucroute[8], fermentation des légumineuses toxiques telles que le soja, la poudre de miso, les graines de néré), à l'acidification qui élimine les bactéries pathogènes[9], à la maturation de la viande (faisandage des venaisons), à l'apport par les agents fermentaires microbiens de vitamines[10], à l'augmentation de la biodisponibilité des minéraux (par exemple la panification des céréales riches en phytates déminéralisant — orge, millet, amidonnier, engrain, épeautre, froment — grâce à la phytase des lactobacilles du levain éliminant ces phytates lors de la fermentation)[11], à la production de produits laitiers dont la fermentation élimine le lactose toxique du lait (typiquement les fromages qui l'éliminent dans le lactosérum et par la fermentation lactique dans le caillé) mal toléré par les populations adultes de l'époque ou dont la lactase des ferments conserve son activité (caractéristique des yaourts)[12]. La fermentation a ainsi permis aux hommes du Néolithique de s'adapter à la transition nutritionnelle due aux nouvelles ressources alimentaires introduites par l'agriculture et l'élevage, transition marquée par la généralisation de la consommation des céréales et des légumineuses cultivées, et l'apparition de la consommation de produits laitiers fermentés[13].
Marie-Claire Frédéric, Ni cru ni cuit. Histoire et civilisation de l'aliment fermenté, Paris, Alma Éditeur, , 360 p. (ISBN978-2-36279-107-9)
Réédition : Marie-Claire Frédéric, Ni cru ni cuit. Histoire et civilisation de l'aliment fermenté, Paris, Tallandier, coll. « Texto », , 400 p. (ISBN9791021059597)
(en) Sandor Ellix Katz, The Art of Fermentation : An In-Depth Exploration of Essential Concepts and Processes from around the World, Chelsea Green Publishing, , 528 p.